La situation existe...je l'exploite ! et quand elle n'existe pas ...je la créer ! le plus important dans un travail perso " liaison et tempo " ne pas faire le mouvement mais plutôt être le mouvement ! Ne pas faire le balayage...je suis le balayage Phrase de Maître VALERA 
 
 
 

Valéra le dur est une image jaunie désormais dans les vieilles pages des magazines d'une autre époque. Si le souffle d'un caractère vif n'a pas laissé les braises s'éteindre totalement, c'est désormais Valéra le sage. 
Un homme chaleureux, simple et sincère qui donne l'exemple lumineux d'un grand parcours de vie par et dans le karaté. Interview d'une légende.

COMME MARCEL CERDAN 


Alors tu veux qu'on parle de mon parcours ? On ne va pas passer en revue cinquante-deux ans de licence fédérale ! Bon, c'est l'histoire d'un gamin turbulent dans les années cinquante, qui a envie de faire des choses, mais pas de moyen. Mon père coulait du goudron sur les routes de France après s'être engagé pendant la guerre pour défendre la nation française, ma mère travaillait dans une usine de confiture. Mon père avait construit une cabane au bord du Rhône et comme il n'y avait pas la télé, ils faisaient des enfants. Nous étions six. Le fameux hiver 54, la maison a été inondé de plus d'un mètre, ma sœur a été mordu par les rats. C'est l'abbé Pierre qui nous a fait reloger à Gerland. Là-bas, il y avait l'abbé Boy et la Maison des Jeunes. Je voulais faire de la boxe pour être champion du monde comme Marcel Cerdan. Mais chez les immigrés espagnols, c'est foot ou rien. En plus, comme je me battais beaucoup, ma mère ne voulait pas, « Il est trop méchant ! » qu'elle disait. Ils étaient de magnifiques parents, mais ils avaient vécu deux guerres et ils étaient plutôt durs. Quand plus tard je suis rentré champion du monde, ma mère m'a dit « c'est bien mon fils, mais balaye la cuisine ». C'est l'abbé qui est venu la convaincre de me faire faire une discipline de combat en lui expliquant qu'il en existait en costume blanc. C'est comme ça que j'ai commencé le judo. Ça ne me convenait pas vraiment, j'étais frustré par les saisies, je voulais autre chose. L'Abbé nous donnait aussi des places pour le cinéma. Un jour, aux actualités qu'on y passait alors, j'ai vu Minoru Mochizuki qui cassait des planches. J'ai pu m'inscrire au karaté à la « Renaissance du VIIIe » à Lyon avec Jean Perrin et François Sanchez.

BIEN… BIEN
Nous sommes en 1960, j'ai treize ans environ et on s'aperçoit vite, moi le premier, que je suis doué pour ça. Je voulais devenir le meilleur, je voulais être reconnu dans ma famille, dans la société et je venais de trouver mon terrain. J'ai appris les 75 mouvements de kankudai en deux séances. J'aimais tellement ça ! Il n'y avait pas un moment où je ne pensais pas au karaté. En février 1964, c'est Hiroo Mochizuki, le fils de Minoru que j'avais vu aux actualités qui me fera passer ma ceinture noire. Il parlait à peine le français à ce moment-là et il a juste dit à mes professeurs : « Bien… bien ». Je me suis dit que s'il le disait deux fois, c'était bon signe. Cette même année, je bats François Sanchez mon professeur en compétition après quatre ans de karaté. Il m'a simplement dit : « C'est formidable, mais ce n'est pas moi le but, il faut viser plus haut ». J'ai alors abandonné mon activité de soudeur à la chaîne qui m'occupait depuis mes 14 ans pour aider au club et j'ai gagné la finale des championnats de France en 1966 contre Alain Setrouk.

EN TRACTION AU JAPON
Je sentais que c'était ce dont j'avais besoin pour m'ouvrir aux autres. Je voulais voir autre chose, monter dans les avions. Maintenant j'aurais plutôt envie d'en descendre ! On a décidé de partir au Japon dans une traction qui datait de 1940. Elle nous a lâché en Russie et on l'a abandonné quasiment sur la Place Rouge. Après on a fait une journée d'avion, deux jours de train, deux jours de bateau. Ce que j'ai surtout vu au Japon à ce moment là, je dois dire, c'est que, à part Tani Sensei à Kobe et Oyama à Tokyo qui nous ont particulièrement bien reçus, ils avaient surtout envie de nous placer leurs films Super8. L'argent était un enjeu et cela m'a mis mal à l'aise. J'ai mesuré aussi qu'ils étaient humains et que Barroux, Setrouk, Lavorato et moi nous n'étions vraiment pas ridicules. Quand je leur faisais faire des lunes avec mes balayages, ils étaient plutôt surpris !

COMME L'ÉCLAIR
Ce balayage, on a souvent écrit qu'il venait du judo, mais pas du tout. C'est Yoshinao Nanbu qui m'avait montré de-ashi-barai, simple balayage du pied avancé. Pour le balayage circulaire en contre, c'est en regardant Alain Gilleti, champion du monde… de patinage artistique, que l'idée m'en est venue, alors qu'il faisait une sorte de boucle en laissant traîner sa jambe arrière. Je me suis dit que ça serait pas mal pour faire tomber ! On me demande souvent comment faire le balayage. À quel moment ? Je dis, quand le temps est venu. C'est comme l'orage qui gronde et soudain c'est l'éclair qui déchire le ciel. On fait le balayage comme ça, sans réfléchir, sinon ça ne marche pas. On ne fait pas un balayage, on est le balayage. D'ailleurs le karaté c'est ça non ? Etre en harmonie avec ce qui est en train de se passer. La situation existe, exploite-la. Elle n'existe pas, crée-la.

JE ME SENTAIS INVESTI
J'ai refusé de faire un championnat d'Europe à Londres en 1967 parce que je n'aimais pas la dimension politique de la sélection, ensuite il y a l'épisode de Long Beach en 1975. Puis je me suis lancé dans le full contact… Long Beach, c'est un gâchis qui me poursuit encore parce qu'on me parle plus de ma bagarre avec les arbitres quarante ans plus tard que de quoi que ce soit d'autre. C'était mon tempérament, j'ai fait les choses à mon rythme et à ma façon, en faisant des erreurs de jeunesse. Je ne sais pas pourquoi, je me sentais investi. Je me suis éloigné à ce moment-là parce que j'avais l'impression d'être arrivé à la fin d'une belle histoire, celle de nos débuts, et d'entrer dans une autre époque où il était possible de tricher, de truquer. De mon temps, on aurait été humilié de montrer qu'on avait mal. Quand j'ai cassé le bras de l'Anglais Spanton, il voulait continuer le combat ! J'ai eu le sentiment que le système de compétition de l'époque détruisait le karaté et je pensais qu'il ne pouvait pas s'arrêter là. Je pense toujours que le karaté a besoin du contact, même très contrôlé, pour exister. Sur le plan technique, savoir mettre de l'impact dans les coups et ne pas trop en prendre est essentiel. Et personne encore aujourd'hui ne peut justifier sérieusement que celui qui vient de prendre une pêche dans la bouche soit celui qui gagne le combat ! Pendant des années, j'ai entendu des coaches dire à leur poulain : « Reste par terre, il va être disqualifié ! ». C'est ça qu'on veut transmettre comme valeurs ? Même si cela va beaucoup mieux aujourd'hui grâce notamment à l'impulsion de Francis Didier à l'international, on a perdu beaucoup de temps.

ÊTRE SOI-MÊME
On dit que le karaté peut former les hommes, mais je dois constater qu'il peut aussi le déformer. D'ailleurs quand j'entends si souvent parler d'éduquer les élèves, je me dis parfois qu'il aussi penser à l'éducation des profs. Il y a trop de gens qui parlent de ce qu'ils ne font pas. Des responsables qui font trente kilos de trop, la cigarette à la bouche faisant des remarques à des jeunes sur le comportement qu'il faut avoir, ça ne va pas. Il n'y a qu'une seule façon, être soi-même un exemple de ce que le jeune est venu chercher. À un moment de ma vie, je me suis orienté vers le cinéma. J'aurais aimé être un nouveau Lino Ventura, mais après être mort huit fois, avoir tué quarante-deux personnes, volé, frappé, pillé à chaque fois, j'ai renoncé. Mais je me souviens du conseil de Jack Waltzer, le coach de Dustin Hoffman : « Sois toi-même à l'intérieur de ces personnages que tu ne seras jamais ». Pour moi, cela s'applique au karaté. Le karaté est peut-être une Formule 1, mais tu donnes une Formule 1 à un abruti, il ne gagne pas à Monaco. Ce n'est pas le karaté qui me transforme, c'est ma pratique du karaté. Et ce n'est pas ma pratique, c'est moi à l'intérieur de ma pratique. Ce n'est pas parce qu'on croise les bras et qu'on compte en japonais qu'on est rigoureux. Il faut garder son naturel en toute chose et ne pas croire au pouvoir magique des étiquettes. Ceinture noire peut-être, mais où en es-tu de ton entraînement ?

LES TROIS PILIERS D'UNE ÉDUCATION
Ce que le karaté m'a donné, ce sont de nouveaux repères, un enracinement au sol et – comme le gars de Manpower – la nécessité d'ouvrir les bras, pour aller chercher d'un côté, rendre de l'autre. J'essaye de faire comprendre rapidement aux jeunes qu'ils s'insèrent dans une chaîne dont ils sont devenus des maillons. Quand je reviens de Mongolie, je suis encore remué d'avoir croisé des enfants qui vivent dans des conditions extrêmes et courent parfois sans chaussures dans le froid, vont chercher l'eau pour la famille à des kilomètres. Je retrouve notre jeunesse qui a tout, mais qui n'a rien si elle n'a pas d'espoir, d'envie, d'idéal. Il y a trois piliers fondamentaux à l'éducation telle que je la comprends : la famille, l'école et le sport. S'il n'y a pas de synergie et d'équilibre sur ces trois piliers, ça ne marche pas. Avec les trois, on peut avancer, rétablir de l'exigence, de l'exemplarité et de l'enthousiasme. On peut les aider à éviter les pièges dans lesquels il est si facile de tomber. Parfois il s'en faut d'une minute, d'une bonne réaction. Tant de choses se jouent sur les rencontres, les bonnes comme les mauvaises. S'entraîner c'est aussi ça : rencontrer des gens plus mûrs, plus sages qui t'ouvrent l'esprit. C'est pourquoi nous avons une telle responsabilité. Je me souviens de Jean-Claude Vandamme à 17 ans, qui venait faire des stages. Il pesait 71 kilos. Quelques années plus tard, il faisait 110 kilos de muscle. Il a choisi son destin et les ennuis qui vont avec. Il aurait pu devenir un excellent exemple.

ON M'A APPRIS À DÉTESTER LE KATA
Enseigner, ce n'est pas facile. On peut faire tellement d'erreurs. Je me souviens d'avoir plaisanté un jour avec un jeune qui me demandait comment progresser en grand écart. J'ai répondu : « C'est simple, tu prends un peu de Soupline tous les jours ». C'est sa mère qui m'a alerté. Il l'avait fait ! Et quand je lui ai expliqué que c'était une plaisanterie, j'ai senti qu'il doutait un peu. Pour lui, ça marchait. Quand on était turbulent sur le tapis à mes débuts, notre prof avait l'habitude de dire : « Attention sinon c'est kata pour tout le monde ». La punition. Depuis j'ai comme un réflexe négatif à l'idée d'en faire, alors que j'adore les regarder. Il nous a appris sans le vouloir à détester le kata ! Pourtant j'ai travaillé avec la fédération pour établir cinq enchaînements techniques pour le Karaté Contact et je me suis régalé.

LES VALEURS GUERRIÈRES
Le karaté aide à comprendre les hommes sur des principes simples, du premier coup d'œil. Au cinéma, je regardais les grands producteurs, je les imaginais en sous-vêtements et j'avais une idée de ce qu'ils valaient ! Le karaté aide à poser des fondamentaux de caractère pour ceux qui sont sincères et vivent la « martialité », c'est à dire la remise en question régulière, la nécessité de l'exigence et de la passion tout au long des années. Le respect des règles de conduite qui nous réunissent tous dans une certaine attitude, dans un cadre. C'est vrai, la dureté, les entraînements ennuyeux, ça ne marche plus. Moi quand j'étais jeune, je prenais des taloches au club et ça, on ne peut plus les faire. Mais les valeurs guerrières, c'est à dire ces bases de caractère qu'on acquiert en combattant et en s'entraînant sont-elles du passé ? Je ne crois pas une seconde. Notre société est douce à vivre, mais les problèmes, on nous les a cachés, ils arrivent. Il va encore falloir du courage, de l'esprit de décision et la capacité à se projeter dans l'avenir. Il va encore falloir lutter pour changer son quotidien, transformer son futur. C'est la vie, et elle n'a pas changé.

APRÈS LA COMPÉTITION
Jusqu'à 25 ans, je ne me voyais pas enseigner aux autres. J'aimais voir en eux l'adversaire potentiel. Je m'inventais des moyens de ne pas les aimer ! « Celui-là il veut me faire manger des épinards. Je déteste les épinards ! ». C'est la compétition, un jeu pour s'affirmer quand on est jeune, pour s'affermir. Mais après on passe à autre chose et il faut le faire nettement. On ne peut pas rester fixé que sur cette période, au risque de louper tout le reste. J'en vois trop qui vivent sur le tapis ce qu'ils n'ont pas fait au bon âge. Le partenaire, on ne lui tape pas dessus comme si c'était un ennemi. Il faut être avec lui, l'aider à progresser.
Moi, c'est ma fille qui m'a changé. Quand elle m'a dit qu'elle ne savait pas faire de vélo, je lui ai appris. Ensuite, j'ai appris à ma petite fille. Il y a un moment où c'est vital de commencer à s'intéresser vraiment aux autres et à rendre ce qu'on t'a donné. Il y un temps pour chaque chose, c'est le sens de la vie. Aujourd'hui j'ai envie de me concentrer sur l'essentiel. J'adore les stages, j'aime aider les gens à résoudre leurs difficultés techniques. J'aime les gens. Je ne veux même plus entendre des choses négatives des uns sur les autres. Je n'ai plus le temps pour ça.

UN VIEUX SENSEI
À 64 ans, il faut que je m'entraîne tous les jours, c'est comme un besoin. Je fais encore mes quatre à six cents abdominaux, mes pompes. Tout va bien, même si je sens qu'il me faut un peu plus de temps pour récupérer. Je ne peux plus progresser physiquement, mais chaque situation continue à m'apprendre des choses, les erreurs que font les enfants et qui me font réfléchir. Et je veux pouvoir montrer ce que je dis qu'il faut faire. Je crains un peu le moment où je ne pourrai plus parce qu'il faudra que je me retire. On pourra dire « ici repose »… Je ne veux pas devenir un vieux Sensei. À la rigueur un vieux sensé, ce ne serait déjà pas mal. Bien sûr que le karaté m'a aidé à mieux vivre, à mieux gérer les situations du quotidien. Sinon, ce serait beaucoup d'années de perdues, non ? La vie, c'est comme le cycle des ceintures. À chaque âge son grade jusqu'à fermer le cercle. Il faut accepter de redevenir ceinture blanche, de laisser la place à un autre parcours que le sien, avec un objectif, que l'aventure du suivant soit aussi intéressante que la vôtre. Cela dit, je ne suis pas pressé de clore le cycle.

UN SEUL REGRET
Fier de quelque chose ? Surtout de ne pas avoir mal tourné. Enseigner encore le karaté est un privilège qui me rend heureux tous les jours. Des regrets ? Que le karaté ne soit encore pas plus affirmé dans la société. Et sur un plan personnel, peut-être de n'avoir pas eu la légion d'honneur. Mon père, qui se levait quand on entendait la Marseillaise à la télé, aurait vraiment été impressionné…